mercredi 9 mars 2016

Shakespeare /2 – Langue et littérature Honni soit qui n’ose pas



Le Premier Folio est le nom donné par les spécialistes modernes à la première compilation publiée des œuvres théâtrales de Shakespeare. Son titre exact est Les Comédies, histoires et tragédies de M. William Shakespeare (Mr. William Shakespeares Comedies, Histories & Tragedies). Il contient trente-six pièces et est édité en 1623 par John Heminges et Henry Condell, deux de ses collègues, à peu près sept ans après sa mort. Bien que dix-huit de ces pièces aient été publiées in-quarto avant 1623, le Premier Folio est le seul texte fiable pour une vingtaine d'œuvres, ainsi qu'une source majeure pour les autres. L'ouvrage recueille toutes les pièces généralement attribuées à Shakespeare, à l'exception de Périclès, prince de Tyr et Les Deux Nobles Cousins. Il ne contient aucun de ses poèmes.
Aucun original ni copie individuelle de ses pièces n’a été retrouvé.

Shakespeare or not Shakespeare ?

 
Il existe toujours la théorie que Shakespeare était un prête-nom ou un pseudonyme utilisé par Francis Bacon, ou le 17ème Earl of Oxford, ou encore Christopher Marlowe, parmi les plus célèbres... A ce jour , le débat est loin d'être clos : le film ‘Anonymous’ soutient la thèse que c’était le Earl of Oxford qui écrivait en cachette tous les œuvres en se servant d’un pseudonyme un peu rude et naïf : Shakespeare. A contrario, Bill Bryson développe des arguments convaincants pour prouver que William Shakespeare est le seul véritable auteur. So be it.
17ème Earl of Oxford.


De l'émotion avant toute chose !

Le génie de Shakespeare continue aujourd’hui à nous stimuler, à nous émouvoir, et à nous influencer. Ses personnages traversent les épreuves de l’ambition, de l’intrigue, de l’amour et de la souffrance. L’esprit et de l’âme de l’être humain s'expriment au travers de ses caractères et font profondément écho à nos propres vies.
Ce sont ces ressentis, ces états émotionnels universels, hors époque et hors temps, qui nous relient. Ses personnages sont inspirés de toutes les classes de la société dans laquelle il vivait et un millénaire et demi plus tard, nous nous identifions à ces figures simples et complexes. De même, ses intrigues sont universelles, qu’il s’agisse de ses comédies, tragédies ou histoires, même si beaucoup sont naturellement empruntées à d’autres sources littéraires ou historiques, comme le voulait l'époque. Nous ne nous formalisons guère de quelques incohérences, ni de certains anachronismes tels que des Égyptiens de l’antiquité jouant au billard, ni non plus de séquences parfois illogiques d’événements : dans sa pièce Coriolan, le personnage Lartius fait référence à Caton 300 ans avant sa naissance….L’émotion avant toute logique, please, Sir William.


Le pouvoir shakespearien des mots

Enfin, le talent du poète réside essentiellement dans sa maîtrise du langage.
D’abord, on lui attribue le premier usage ‘écrit’ de 2035 mots, et ce à partir de ses premières œuvres, dont 800 de ces mots sont en usage aujourd’hui. En prenant l’Oxford Dictionary of Quotations comme référence, Shakespeare a produit environ 1/10ème des expressions en anglais dignes d’être citées de façon orale ou écrite depuis la création de ce dictionnaire. N’empêche que l’anglais comme langue avait du mal à recevoir ses lettres de noblesse !
A cette époque, entre les années 1500 et 1650, quelque 12000 mots, un nombre phénoménal, sont entrés dans la langue anglaise, et dont environ la moitié sont toujours employés aujourd’hui. De même, d'anciens mots étaient réactualisés et employés dans des tournures nouvelles : les noms devenaient verbes ou adverbes ; des adverbes devenaient adjectifs. L’orthographe aussi était très variable sans que cela ne pose problème. D’ailleurs, les règles comptaient peu et tout était possible. L’anglais s’était déchaîné !


Liberté poétique et ressources pédagogiques

Pour le professeur de langue anglaise, les œuvres de Shakespeare représentent une source d’inspiration inépuisable. Aujourd’hui comme hier, la langue anglaise est plutôt ouverte, accueillant volontairement des expressions et des mots venus d’ailleurs, de toute source.
Pour Rudolf Steiner, le professeur de langue «porte» la langue. C'est-à-dire, en quelque sorte, qu’il est la langue par sa façon d’être, par son comportement et par son émotionnel. À lui d'exprimer ce qui est visible et invisible dans la langue.
Aussi, les mots portent-ils toute l’histoire d’un peuple, de sa culture, de son aventure de vie et de sa façon d’être à tous les niveaux. La langue est à la fois impression et expression, projection et rétrospective, développement et retour sur la condition humaine.

Porter la langue ? Facile à dire !

Effectivement, «porter la langue» peut sembler difficile à mettre en oeuvre, sauf si on prend comme modèle, notre ancêtre, porteur de la langue anglaise par excellence, Willy Shakespeare.
Il s’agit alors de définir clairement la posture du professeur. Est-il pourvoyeur de connaissances ? Déverse-t-il son discours sans état d'âme ? Ou a contrario, le professeur s'engage-t-il de toute son âme, entièrement, avec toute sa différence et son caractère novateur ? Sans conteste, la seconde solution permettra aux élèves d'appréhender la complexité et l'unicité de la langue et de découvrir combien Shakespeare est une source inépuisable.
Sans vouloir donner des recettes, voici des thèmes et des chemins à considérer en vous inspirant de William Shakespeare, dit ‘The Bard’:
  • La langue anglaise se construit et se déconstruit continuellement – jouer avec sa structure!
  • De nouveaux mots sont conçus et intégrés, venant d’ailleurs, à tout moment – inventer, mélanger les mots.
  • Les personnages simples et complexes sont de puissants vecteurs : grâce à leurs problèmes universels et à leurs excès émotionnels, dans des situations qui passent du comique au tragique – changer, devenir un autre personnage, et imaginer l’impact sur son langage, sa façon d’agir et de s’exprimer! Libérez tout un arc-en-ciel d'émotions !
  • La familiarité et la franchise des personnages: poser des questions qui sont indiscrètes (pour le français) mais acceptables pour l’anglo-saxon sur le plan social !
  • Tout est possible, et on dépasse les limites du réel vers l’irréel – l’imaginaire et la créativité sont les règles dans un cours de langue qui ignore l'ennui.
Nota bene :
  • Être dans le présent est très important pour l’anglais avec l’emploi de la forme progressive.
  • Sa tendance à se placer dans le présent pour regarder le futur amène l’Anglais à envisager la solution plutôt que de rester ‘enfermé’ dans le problème.
  • Le sens d’un message passe plus par la voix (ton, intonation, volume et accent tonique) que par la structure de la langue, comme, par exemple c’est le cas en français.
  • Les situations stimulantes, inattendues et conviviales avec un sens dramatique éveillent la curiosité des élèves et les encourage à s’impliquer.
  • Le mouvement du corps vers l’avant facilite une énonciation claire et posée.
Tout cela est bien beau, mais pour 'porter la langue', le professeur a besoin de s'appuyer sur son propre imaginaire, de développer son désir de prendre des risques en révélant sa créativité, et comme Shakespeare, d'oser passer du sublime au ridicule, de l’admiration à la moquerie, du respect de soi à la dénégation et d’abnégation, et ce, dans un contexte à la fois sérieux et ‘fun’. De cette façon, il saura transmettre tout ce qui est visible et invisible dans cette langue anglaise, si étrangère pour le non-initié.
La préparation de chaque cours réside autant dans le Comment que dans le Quoi : comment transmettre le contenu du cours ? 
Chaque leçon est une expérience unique, comme chaque scène du théâtre shakespearien.

David Miller (Relecture et publication : Céline Bernard)


Bibliographie